Juin 2007
Catalogue de prémices 2007
Publication: Prémices 2007
PILON, Michel, Prémices 2007, Résistances Électives, Gatineau, centre d’artistes AXENÉO7, 2007, ISBN 2-922794-23-7.
ÉTIENNE GÉLINAS,
Résistance Élective
Michel Pilon

« Se rappeler qu’un tableau avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées « .

Maurice Denis, peintre nabis de la fin du XIXe siècle1

Les oeuvres d’Étienne Gélinas, sept peintures à l’huile de grand format, nous projettent d’emblée dans un espace bidimensionnel à la fois complexe, vibrant et riche, dont la composition témoigne de la sensibilité et de la maîtrise de l’artiste. Un espace qui vit non seulement de la couleur, mais aussi et surtout des grilles et des cibles obtenues par le truchement en fond d’éléments aléatoires, extraits du répertoire du dessin technique et mécanique, qui ne sont pas sans rappeler le Codex Atlanticus de Léonard de Vinci.

Voulant sûrement transcender les moules de son apprentissage académique, l’artiste joue sur le contraste entre émotion et raison, entre des mélanges de matières et de couleurs violemment lacérées, et la finesse des dessins. La complexité des tableaux s’articule donc sur deux niveaux. Le premier, rendu avec une dextérité efficace, oblige les sujets à être partie prenante d’une composition calculée et volontaire. Le deuxième, par le traitement différencié des matières, ajoute à celui-ci des interventions se voulant spontanées et violentes. Or, en peinture, la composition est l’art de distribuer les formes et les figures, selon certaines règles, ou encore avec goût et talent. La composition dépend essentiellement de l’intention de l’œuvre, de la surface peinte et enfin de l’objet représenté2. Il est aisé de comprendre que les éléments des peintures d’Étienne Gélinas doivent attirer le regard d’assez loin. Si l’efficacité est ici souvent le critère principal, on y perçoit en filigrane le désir de communication et le besoin d’une réaction. Un sentiment social ou un scrupule d’ordre moral semblent avoir poussé l’artiste à situer les éléments figuratifs de façon à répondre à ses aspirations. Aisément perceptibles, les figures, qui rappellent tantôt des dessins de modèles vivants, tantôt des écorchements anatomiques voire épidermiques (compositions 210,211,220,221 et 223), traduisent les liens ténus du corps avec l’univers: celui qui l’entoure et celui qui peut-être se cache à J’intérieur de chaque individu.

Lorsque les tableaux n’ont pas d’intention déterminée, comme on peut le voir dans les compositions no. 192, Résistance mécanique 2 et Résistivité, les œuvres n’apparaissent plus comme le résultat d’un besoin d’expression, mais plutôt comme une nécessité de relation. Le souci d’efficacité n’étant plus le critère déterminant, il peut même s’effacer complètement. Sans se servir d’une théorie rigoureuse comme le nombre d’or d’origine pythagoricienne, Gélinas nous transporte dans une surface peinte, dont le goût, l’imagination et l’initiative sont des facteurs déterminants. L’artiste se rapporte non seulement à l’harmonie, à l’abstraction, à la composition, à la proportion, au rythme, apanage des œuvres peintes, mais aussi à la géométrie et à la perspective, qui relèvent traditionnellement des sciences et de la technique.

Les deux contextes sont-ils compatibles pour créer un message artistique cohérent? L’exercice de Gélinas nous démontre que la coexistence des deux pôles est possible et peut mener à un message et à une esthétique artistique achevés. Le langage plastique se tient en équilibre entre la figuration suggestive et la non-figuration. Pour l’artiste, la toile est une métaphore de la complexité de la vie, des rêves, du temps qui passe; l’enveloppe ultime par laquelle s’accomplit l’ensemble de nos contacts avec l’extérieur.

Le caractère épidermique de sa peinture traduit le lien étroit du corps avec son espace et avec la face cachée située à l’intérieur de chaque individu. Cette vision introspective s’exprime manifestement par une certaine prise de distance face au réel. L’artiste transpose sur le support la codification du lien intime qui unit l’homme et ses réalisations. Ce qui frappe d’emblée dans les travaux d’Étienne Gélinas, c’est la grande maîtrise technique de ce jeune peintre et la cohérence plastique avec laquelle il traite son sujet La figuration oscille parfois entre le réalisme et le symbolisme. L’artiste ne cherche pas à créer un idéal ou à reproduire

la nature, mais bien à mettre en forme l’énergie métaphysique qui se dégage de l’activité humaine. Ses sujets tombent dans le réalisme lorsqu’ils sont lus et reconnus comme tels:

des dessins académiques positionnés au gré de ses impulsions. La lecture des tableaux se fait plus réfléchie lorsque les sujets dessinés se juxtaposent a~ tracés à caractère technique, tels des cibles, des horloges, des couloirs et des grilles. Cette mise en parallèle nous conduit à une compréhension du calcul du temps, de la distance et de la complexité. L’œuvre de Gélinas, au croisement de multiples influences, rappelle les dessins de Léonard de Vinci, mais également les personnages d’Albrecht Dürer ou de Jean Ingres dans le traitement de la figure humaine et la noirceur des traits. La complexité dans les manipulations de la matière évoque les œuvres d’Anne Bertoin, le tableau émergeant d’une activité gestuelle et aboutissant à une peinture en mouvement perpétuel. Enfin, l’approche de Gélinas est marquée d’un expressionnisme qui allie le geste spontané et la maîtrise technique pour créer des œuvres austères, empreintes d’un univers théâtral et onirique. Pour donner de l’amplitude émotive à l’œuvre, pour que celle-ci communique le monde qui l’entoure, Étienne Gélinas croise les lignes et les couleurs dans des dynamiques à la fois simples et complexes. La division du tableau en différents plans structure la composition et permet à l’artiste d’introduire des mélanges de couleurs et des effets  exturés.

Les oeuvres du jeune artiste se distinguent par un langage classique marqué par une texture abondante ainsi que par une gamme chromatique composée de peu de couleurs, dont l’application sur la toile contribue à dynamiser le propos. Toutefois, ce qui caractérise son travail et lui confère une note d’originalité, est le vernis qui enduit ses œuvres et qui ruisselle et scintille à la lumière. Ce vernis donne au propos sa pulsion vitale, en mettant en évidence

le croisement dynamique entre la figure et l’espace. Tel un miroir, il sollicite le spectateur, le renvoie à lui-même, le fait complice de sa propre aventure. Comme chez Jean-Pierre

Lafrance, la peinture de Gélinas est situationnelle, en ce sens qu’elle exprime un état d’être. Par conséquent, elle porte en elle une temporalité, celle d’un présent vécu avec une telle intensité que l’infini et l’indéfini ne manquent pas de s’y confondre.

De plus, son approche de l’oeuvre est celle d’un architecte pictural. Ses figures sont monumentales, tridimensionnelles, elles appartiennent à des réflexions sur les proportions et vivent entre la ligne et l’équilibre. Dans l’univers de Gélinas, les personnages sont de véritables

sujets. Chacun d’eux, personnage ou dessin mécanique, si diffus puisse être le traitement des couleurs entre la forme et le fond, se démarque à l’intérieur de l’espace. La figure est une forme concrète, un moyen d’entrer en dialogue avec le spectateur et de lui parler de l’amplitude émotive du monde créé par l’artiste.

Fortes de cette atmosphère affective, les compositions d’Étienne Gélinas construisent un passeport visuel pour une conception du monde à la recherche du temps, en quête d’une profonde compréhension, basée sur la ligne et la couleur. L’image véhiculée par le travail de l’artiste est celle d’un monde en soi, dépassant largement la bi dimensionnalité de la toile.

 

 

l. Maurice Denis, citation de Maurice Denis, Paris,

RMN, 2006, p. l.

2. André Béguin, Dictionnaire technique et critique

du dessin, Bruxelles, Oyez, 1978, p. 157.

 

 

 

ÉTIENNE GÉLlNAS

Étienne Gélinas à complété un baccalauréat en art et design à l’Université du Québec en Outaouais en 2006. TI

compte à son actif plusieurs expositions individuelles en peinture et en sculpture dans l’Outaouais, entre autres:

à la Galerie Art Lois, au café-bar Les quatre jeudi, à la Galerie d’art Époque et au Casino du lac Lemay. En plus de

sa pratique artistique, il enseigne la peinture pour la ville de Gatineau.